Emmanuel Combe a publié le 5 Avril 2022 une chronique dans L’Opinion sur l’inflation.
Cette inflation qui vient de loin
«Si l’on se projette sur le long terme, il se pourrait bien que la longue parenthèse de faible inflation qui a dominé dans les pays développés depuis les années 1990 soit sur le point de se refermer»
Alors que l’Europe et les Etats-Unis connaissent un taux d’inflation jamais vu depuis les années 1980, les débats se concentrent aujourd’hui sur la question de savoir si cette inflation va durer ou non. Les conjoncturistes se focalisent assez logiquement sur les évènements actuels pour expliquer le fort rebond des prix : tensions surles chaînes de valeur, guerre en Ukraine, reprise de la consommation après les périodes de confinement constituent autant de facteurs clés. Cette inflation conjoncturelle pourrait d’ailleurs se transformer en inflation durable, si les tensions sur les prix venaient alimenter des hausses de salaires, qui engendrent à leur tour une boucle inflationniste.
Mais on peut également considérer que l’inflation actuelle marque en réalité l’entrée progressive dans une ère nouvelle, celle d’une inflation durablement plus élevée, qui puise sa source dans des phénomènes structurels de long terme. Comme nous l’avons vu dans la précédente chronique, une première cause peut être trouvée dans la transition climatique qui va alimenter une triple inflation : une inflation climatique, une fossilflation et une greenflation. Deux autres facteurs, mis en relief notamment par Charles Goodhart, pourraient également jouer un rôle déterminant.
Premier facteur : les tendances lourdes de la démographie. En effet, le vieillissement de la population va se traduire par une réduction de la population active dans les pays développés mais aussi… en Chine, qui a constitué depuis vingt ans le réservoir de main d’œuvre bon marché. Dit en d’autres termes, l’offre mondiale de travail va se contracter.
Déséquilibre. Parallèlement, les besoins des personnes âgées vont conduire à augmenter la demande de travail dans le secteur des services à la personne. L’équation est alors simple : face à un déséquilibre entre offre et demande de travail, l’ajustement va conduire à une pression à la hausse sur les salaires. Compte tenu des faibles gains de productivité dans les services à la personne, cette hausse du coût salarial entraînera in fine de l’inflation.
Second facteur : la fin de la grande mondialisation. Nous avons connu pendant trente ans une période d’ouverture exceptionnelle des économies, suite à l’accord de l’Uruguay Round en 1995, puis à l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001. Cette mondialisation a tiré l’inflation vers le bas, en permettant d’importer des produits à bas prix en provenance des pays émergents et en faisant pression à la baisse sur les salaires des personnes non qualifiées dans les pays riches.
Mais cette mondialisation a atteint depuis plusieurs années un pallier, avec un taux d’ouverture de l’économie mondiale qui stagne à 30%. Plus encore, des pays comme les Etats-Unis ont fait le choix d’un retour au protectionnisme à l’encontre de la Chine. De même, sur le front du multilatéralisme, les chances d’un nouvel accord de libéralisation commerciale sont faibles. Ajoutons à cela les politiques de relocalisation des activités dans les pays développés et vous obtenez un tableau dans lequel les coûts et les prix devraient augmenter.
Ainsi, si l’on se projette sur le long terme, il se pourrait bien que la longue parenthèse de faible inflation qui a dominé dans les pays développés depuis les années 1990 soit sur le point de se refermer. Pour des raisons structurelles et pas seulement conjoncturelles.
Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.