Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 19 Avril 2016 sur la notion de « patron ».
C’est qui le patron ?
Sale temps pour les patrons français : après le succès du film Merci Patron !, c’est au tour du Medef d’essuyer la vindicte des activistes de NuitDebout et des opposants à la loi Travail. Dans un pays qui entretient un rapport compliqué à l’argent, le « patron » incarne aujourd’hui la figure du « riche », le cigare aux lèvres et des euros pleins les poches.
Ce raccourci contient une certaine part de vérité : la rémunération des dirigeants du CAC40 a atteint en moyenne 2,3 millions d’euros en 2015, hors stock-options. Elle s’affiche même en hausse de 4 %, avec de fortes disparités, le « patron » le mieux payé ayant touché près de 4 millions d’euros, soit… 300 fois le smic annuel net.
Effet superstar. Notons toutefois que ces grands « patrons » n’ont pas le monopole de la richesse rapide : certains footballeurs ou artistes gagnent autant sinon plus, sans que personne ne trouve à y redire. On nous objectera que la rémunération d’un artiste s’explique par la rareté des talents, comme l’a montré Sherwin Rosen avec son « effet superstar » : un petit différentiel de performance peut conduire à un énorme écart de rémunération entre le numéro 1 et les autres. En effet, une somme de joueurs de bon niveau ne remplacera jamais le génie d’un Lionel Messi.
Peut-on exclure par principe que ce raisonnement soit transposable au monde de l’entreprise ? Certains patrons charismatiques sont sans doute plus compétents que d’autres pour emporter une entreprise sur le chemin de la rentabilité ou de la croissance. Leur rémunération devrait alors être indexée sur leur seule performance : si l’entreprise se redresse ou prospère, ils empochent un gros chèque ; s’ils échouent, ils doivent partir… les poches vides.
Mais le plus problématique est ailleurs : si le « patron » désigne toute personne qui dirige une entreprise, l’image du riche patron en prend un coup. En effet, sur les 3,4 millions d’entreprises que compte notre pays, 1,3 million n’a aucun salarié et dégage une valeur ajoutée médiane de 15 000 euros par an. En clair, 650 000 patrons parviennent à gagner… le smic. Le patron prend ici le visage du petit exploitant agricole, du chauffeur Uber, du boulanger qui travaillent dur et peinent à boucler les fins de mois. Si l’on se tourne maintenant du côté des 136 000 PME, les rémunérations moyennes sont de l’ordre de 65 000 euros selon l’Insee, avec une disparité en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité. 65 000 euros, c’est certes plus de deux fois le salaire moyen des Français, mais cela n’a rien d’extraordinaire, si l’on tient compte du temps de travail, des responsabilités et risques pris.
Mais le patron, c’est aussi aujourd’hui le visage de ces milliers de jeunes diplômés, qui font le choix de lancer leur start-up plutôt que d’entrer dans une entreprise… du CAC40. Des jeunes qui bien souvent ne se payent pas les premières années, vivant de bric et de broc ou sur leurs économies. Des patrons en herbe, qui changeront peut-être demain, sinon la face du monde, du moins la vie quotidienne des Français, en lançant des produits et services innovants. Des patrons qui croient à l’impossible, cassent les codes, bousculent l’ordre économique établi, au point parfois de passer pour des… marginaux au sein de l’establishment patronal. L’économiste Joseph Schumpeter leur avait donné un nom : les entrepreneurs. Et si c’étaient eux, les vrais révolutionnaires ?