« Barrières à l’entrée : les franchir ou … s’en affranchir » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 15 Décembre 2020 une chronique dans L’Opinion sur les barrières à l’entrée et l’innovation disruptive.

 

Barrières à l’entrée : les franchir ou s’en affranchir

 

Nous avons vu dans les précédentes chroniques que l’économie numérique se caractérisait par la présence de fortes barrières à l’entrée, notamment au travers des économies d’expérience et des effets de réseau. Un nouvel entrant devra donc franchir plusieurs obstacles s’il veut concurrencer demain les géants du numérique sur leur propre terrain. Autant dire que la tâche s’annonce ardue : par exemple, s’il se lance sur le segment des réseaux sociaux, il ne bénéficiera pas des 2,6 milliards d’utilisateurs déjà connectés à l’éco-système Facebook/Instagram et des forts effets de réseau directs qui en résultent.

Mais une autre solution s’offre à lui : plutôt que de franchir les barrières existantes, il peut tenter de les contourner, en lançant une innovation qui lui permette de créer son propre marché. Une fois sa propre base de clients conquise, il peut alors tenter de migrer progressivement vers les clients des entreprises installées. Cette stratégie, analysée par Clayton Christensen dès 1997 dans The innovator dilemma, porte un nom : « l’innovation disruptive ». Elle consiste, pour un nouvel entrant, à cibler dans un premier temps des personnes qui n’utilisent pas ou plus un service. Pour ce faire, le disrupteur va redéfinir les besoins à satisfaire, le plus souvent dans un sens minimaliste, afin que ces personnes se (re) mettent à consommer.

Une première illustration peut être trouvée hors du numérique, dans le transport aérien : face aux compagnies historiques, les compagnies low cost ont ciblé au départ les clients qui ne voyageaient pas. L’enjeu pour elles était de leur offrir une prestation minimaliste en échange d’un prix bas. Ce faisant, elles se sont affranchies du modèle dominant, fondé sur l’organisation d’un réseau en étoile et la promesse de nombreuses correspondances : elles ont simplement proposé aux clients de les transporter d’un point A à un point B.

Dans un registre plus proche du numérique, Airbnb est également entré sur le marché de l’hébergement temporaire, en allant vers une clientèle qui n’allait pas ou peu à l’hôtel. Airbnb a mis en relation des demandeurs et des offreurs de logements temporairement vacants, sans avoir à construire de nouvelles capacités hôtelières. L’expérience client a été également redéfinie, en externalisant ou supprimant une grande partie des prestations proposées dans un hôtel.

Une fois conquis un socle de clients stables, ces modèles disruptifs évoluent vers celui de leurs aînés, quand ce n’est pas l’inverse qui se produit : le modèle disruptif entre alors en concurrence frontale avec celui des opérateurs installés. Le cas de l’aérien est à cet égard instructif : les low cost ont fait monter en gamme leur prestation, tandis qu’au même moment les opérateurs historiques adoptaient certains codes du low cost.

Dans le cas du numérique, où les barrières à l’entrée sont élevées, la dynamique de la concurrence viendra peut-être demain d’une innovation disruptive, qui remettra progressivement en cause les positions les plus établies. Ainsi, un modèle numérique pourra disrupter un autre modèle numérique. Mais pour qu’une telle potentialité survienne, encore faut-il que ces modèles disruptifs ne soient pas rapidement rachetés et intégrés … par les géants du numérique.

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