Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 13 Avril 2018, sur la notion de service public.
Au service du public
Les opposants à la réforme ferroviaire utilisent une équation simple pour justifier leur mobilisation contre « la casse du service public » : service public = capital public = monopole public. Revenons un instant sur ce raccourci… trompeur.
En premier lieu, il n’y a pas de relation nécessaire entre service public et capital public. S’il est vrai que le service public est souvent assuré en France par une entreprise publique, un opérateur privé peut très bien se voir confier, par délégation, une mission d’intérêt général. Prenons l’exemple du transport aérien : il existe en Europe des lignes dites OSP (Obligations de Service Public), qui ne sont pas rentables mais pour lesquelles un Etat peut vouloir maintenir une desserte minimale toute l’année, au nom du désenclavement territorial. Dans ce cas, l’Etat concède, après un appel d’offres, l’exploitation de la ligne à une compagnie, qui perçoit en retour une compensation financière : par exemple, Air France, entreprise à capitaux majoritairement privés (86 %) vient de voir sa filiale Hop ! renouvelée pour 4 ans sur la ligne Orly/Brive.
On voit donc bien que la propriété du capital n’est pas un vrai sujet : entreprises privées comme entreprises publiques peuvent exercer des missions de « services d’intérêt économique général », pour reprendre les termes de l’Union européenne. D’ailleurs, dans le cas du projet de réforme ferroviaire, la question de la propriété du capital se pose d’autant moins que la privatisation de la SNCF n’est pas du tout à l’ordre du jour.
En second lieu, le fait qu’une entreprise soit à capitaux publics – ce qui est le cas de la SNCF – n’implique pas qu’elle doive bénéficier d’un monopole légal. En effet, le fait d’être seul sur un marché et protégé par des barrières légales entraîne plusieurs effets pervers : dérive des coûts de production et donc des prix, faible incitation à innover, faible qualité de service. La cause en est qu’une entreprise en monopole n’est jamais rappelée à l’ordre par la concurrence et les clients, qui n’ont pas le choix d’aller voir ailleurs. Notons qu’un monopole privé ne serait pas plus « vertueux » qu’un monopole public.
Dit en d’autres termes, privatiser la SNCF sans l’ouvrir à la concurrence ne changerait pas grand-chose à la situation. A l’inverse, la SNCF, dès lors qu’elle sera mise en concurrence avec d’autres opérateurs, disposera d’une incitation forte à améliorer la qualité de service, à diminuer ses coûts de production, à innover pour se différencier. La concurrence générera un triple gain pour l’usager – baisses de prix, diversification de l’offre, qualité de service — et, pour la SNCF, un élargissement de la taille du marché.
Finalement, le meilleur allié du service public, ce n’est pas la privatisation d’un monopole mais sa mise en concurrence avec d’autres opérateurs. A condition de considérer que le service public consiste d’abord à être au service du public : dans le cas du transport ferroviaire de passagers, cela passe pour l’essentiel par des prix abordables et une bonne qualité des prestations (sécurité, ponctualité, fréquence, propreté, etc.). Pas sûr que cette conception du « service public » soit celle retenue par les grévistes.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema Business School.