« Annulation de la dette : l’histoire et la politique ne peuvent pas tout » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 4 Mars 2021 une chronique dans L’Opinion, sur la proposition d’annuler la dette Covid en Europe.

 

Annulation de la dette publique : l’histoire et la politique ne peuvent pas tout

 

«L’histoire nous a maintes fois montré que les difficultés juridiques s’effacent devant les accords politiques » : telle est la conclusion de l’appel lancé par une centaine d’économistes en faveur d’une annulation de la dette Covid contractée par la BCE.

Pour ce qui est de l’argument historique, il est factuellement juste mais largement sorti de son contexte. L’histoire contemporaine regorge certes d’exemples d’Etats ayant annulé leur dette -à l’image du Mexique en 1861 ou de l’Union Soviétique à la fin de 1917- mais ces décisions sont intervenues souvent à la suite d’un changement de régime politique : il s’agissait de solder un héritage « illégitime » du passé, fondé sur la dictature ou le colonialisme. Une doctrine juridique sur la « dette odieuse » a même été élaborée dès 1927 par Sack, considérant qu’une dette contractée par un régime contre l’intérêt de ses propres citoyens « n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir. ». Force est de constater que nous ne sommes pas aujourd’hui dans ce cas de figure : nous avons en Europe des gouvernements démocratiquement élus, qui ont fait le choix de contracter une dette non pour oppresser leur population mais pour faire face à l’une des plus graves crises économiques depuis 1929. Comparaison n’est pas toujours raison.

Pour ce qui est de l’argument de la toute puissance du politique, il omet de rappeler qu’il y a un coût économique à faire et défaire les traités. Pour bien le comprendre, il faut revenir à la notion de « crédibilité » : une politique économique est considérée comme crédible si elle obéit à des règles claires et constantes, qui sont annoncées à l’avance et permettent aux agents d’anticiper le comportement futur des pouvoirs publics. Changer les règles du jeu au cours du jeu, ne serait-ce qu’une seule fois, revient à renier ses propres engagements. Le décideur politique réalisera certes un gain à court terme mais il aura perdu toute crédibilité aux yeux des acteurs économiques. Ainsi, dans le cas de la dette Covid, ces derniers se diront que si l’Europe est capable d’annuler les 25% de dette détenue par la BCE, pourquoi ne ferait-elle pas de même demain sur les 75% détenue directement par des acteurs privés ? La sanction économique sera aussi simple que redoutable : comme ils n’auront plus confiance, les investisseurs privés exigeront une prime de risque. Même dans un environnement de taux structurellement bas, les taux d’emprunt seront élevés, faute d’une confiance suffisante. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui s’est passé avec la Grèce, suite à l’épisode de restructuration de sa dette en Mars 2012. Les marchés obligataires ont eu la mémoire longue et la dent dure : la Grèce devra attendre Juillet 2017, avant de retrouver un accès direct aux marchés de capitaux ; elle ne devra son sauvetage pendant ces 5 années qu’à la faveur des plans d’aide du FMI et de l’Union Européenne. Il est donc imprudent d’exiger une annulation de la dette détenue par la BCE. Cette demande est d’autant plus infondée que cette dette Covid ne coûte rien aux Etats européens, puisque les taux d’intérêt qu’ils versent à la BCE … leur sont ensuite reversés.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et Vice-Président de l’Autorité de la concurrence.

 

 

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