« Amazon, Netflix : le retour de l’intégration verticale ? » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 24 Janvier 2019, sur l’intégration verticale.

 

Amazon, Netflix : le retour de l’intégration verticale ?

« Recentrez-vous sur votre cœur de métier ! » : tel a été longtemps le mot d’ordre en vogue chez les consultants en stratégie, à l’adresse des dirigeants d’entreprises et de leurs actionnaires. Cet appel à l’externalisation des fonctions secondaires visait à tirer pleinement parti de la division du travail entre entreprises : par exemple, un fabricant de jouets a intérêt à confier le transport de ses produits à un prestataire extérieur plutôt que d’accomplir cette tâche lui-même. Cela lui coûtera moins cher et il pourra toujours changer de prestataire s’il n’est pas satisfait. Son cœur de métier est de produire des jouets, pas de les transporter.

Pourtant, depuis peu, de grandes entreprises font le chemin inverse, en procédant à une forme d’intégration verticale, vers l’amont ou l’aval. Ainsi, Amazon se développe en aval dans… le transport aérien : le géant du e-commerce possède sa propre compagnie cargo Amazon Air, qui comprend déjà 50 Boeing 767. Ses avions sillonnent chaque jour le territoire américain pour transporter ses colis. Etonnant, alors qu’existent des spécialistes du fret aérien comme Fedex ou UPS, qui disposent d’une impressionnante flotte d’avions et d’une expertise logistique pointue.

Dans un tout autre registre, la plate-forme de streaming vidéo Netflix multiplie depuis 2017 les partenariats exclusifs en amont, avec des producteurs de contenus, stars de l’écriture ou du cinéma : ainsi, le romancier à succès Harlan Coben a signé pour l’adaptation exclusive de 14 de ses best-sellers. Netflix est même devenu le premier producteur de films au monde, avec pas moins de 80 nouvelles sorties en 2018. Etonnant, alors qu’existent des milliers de films disponibles, qui ne trouvent pas preneur : il suffirait à Netflix de faire son marché pour remplir son panier.

Ce mouvement d’intégration verticale provient du fait que le cœur de métier d’une entreprise – c’est-à-dire son ADN – évolue au cours du temps, parfois même très rapidement. Prenons le cas d’Amazon : sa promesse n’est plus seulement de vendre des millions de livres et produits de toute sorte sur Internet mais de livrer chaque client, où qu’il soit, en temps et en heure : un temps record et surtout… garanti. Tout retard de livraison viendra altérer sa réputation. Il devient alors essentiel pour Amazon d’avoir la pleine maîtrise sur le maillon du transport de colis, en lançant sa propre compagnie aérienne.

Dans le cas de Netflix, la promesse au client n’est plus seulement de mettre à disposition un large catalogue de films et séries : elle est de proposer en permanence de nouveaux contenus attractifs, variés et exclusifs, afin que les 140 millions d’abonnés continuent de payer chaque mois et n’aillent pas voir ailleurs, notamment chez Amazon Prime Video ou HBO. Si les gisements de talent du cinéma sont partout, les plus rentables – à savoir les stars du box office – sont une denrée assez rare : en signant avec eux une exclusivité, parfois sur longue période, la plateforme Netflix, telle une compagnie pétrolière, s’intègre en amont et sécurise ses approvisionnements en productions originales. Des gisements de talents qui constituent le « pétrole » qui coulera demain à flot dans ses tuyaux… numériques.

Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema business school.

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