Emmanuel Combe était interviewé par Libération le 16 Septembre 2014 sur Air france et le rôle de la filiale low cost Transavia :
Les pilotes d’Air France pourraient égaler leur record de 1998 : clouer au sol ses avions pendant une semaine. La compagnie fait face à des grévistes qui ne lâchent pas prise : 60% depuis le premier jour du conflit. Elle assurera au mieux 40% des vols mercredi. L’enjeu : le virage low-cost de la compagnie. Le sort d’Air France se joue-t-il ?
Pourquoi un tel blocage ?
Les pilotes sont au centre du conflit. Air France a décidé de mettre le turbo pour développer sa compagnie low-cost, Transavia France. Celle-ci, créée en 2007, draine surtout la clientèle des voyagistes et exploite 14 appareils. La flotte monte à 18 si on inclut les 4 Airbus que lui a prêtés Air France, avec ses pilotes. Mais cet accord conclu il y a quelques mois, et qui a permis de booster le trafic (25% de croissance pour l’été), arrive à échéance. Or, Air France a décidé de miser gros sur Transavia France et vise 37 appareils à l’horizon 2017. Même projet d’expansion pour sa sœur jumelle, Transavia Pays-Bas. Leurs flottes conjuguées atteindraient la centaine d’appareils dans deux ans et 115 en 2019. Mais l’expansion promise est assortie d’une condition sur laquelle Alexandre de Juniac, le PDG du groupe Air France-KLM, se montre intraitable : négocier avec les pilotes d’Air France – sous-employés dans la compagnie – un détachement temporaire chez Transavia, avec à la clé un nouveau contrat et davantage d’heures de vol afin de réduire les coûts. Pour les pilotes, il n’en est pas question. Le SNPL, syndicat ultramajoritaire, épaulé par le Spaf, deuxième syndicat de pilotes, et Alter (Solidaires), campent sur leur position : un corps unique de pilotes régi par un même contrat, quelle que soit la compagnie du groupe – Air France, Transavia, mais aussi les compagnies régionales regroupées sous la marque Hop !. «Nous gagnerons en agilité», justifie à Libération Jean-Louis Barber, le président de la section Air France du SNPL. Et François Hamant, responsable syndical d’ Alter, d’ajouter : «On entend dire que cette grève est corporatiste. Non ! Il s’agit de protéger un fleuron industriel et de lutter contre le dumping social.»
Le virage low-cost d’Air France est-il vital ?
Personne ne conteste la nécessité pour Air France de reprendre des parts de marché aux compagnies low-cost, et Transavia peut en être l’un des instruments. «Le low-cost est une révolution au sens économique du terme. De toute façon, ce modèle gagnera la bataille de l’aérien», estime Emmanuel Combe, économiste et spécialiste du low-cost. De fait, en moins de deux décennies, les compagnies qui s’en réclament ont capté 45% du marché européen. Mais seulement 20 à 25% du secteur en France. Ce qui rend l’Hexagone particulièrement vulnérable. Plus que de Ryanair, la menace vient de Vueling ou d’EasyJet. Cette dernière s’est déjà lancée sur des transversales (Lyon-Bordeaux ou Lyon-Toulouse…) et à Nice, c’est la première compagnie en termes de trafic. La guerre du low-cost est devenue une «une bataille de géants», souligne Combe. La flotte de Transavia (Pays-Bas et France) apparaît ainsi minuscule (53 appareils), face aux 300 avions de Ryanair, aux 200 d’EasyJet, qui vise une flotte de 276 en 2022, ou même aux 90 de Vueling. A elles deux, Ryanair et EasyJet ont ainsi transporté 140 millions de passagers en 2013 : c’est plus que les deux tiers du marché européen…
Quels enjeux pour Air France ?
Lufthansa, la compagnie historique allemande, est fière de sa low-cost, Germanwings. Et British Airways pousse les feux sur Vueling. Air France est plus discrète : elle a développé Transavia comme si elle avait peur d’abîmer sa marque. Pendant longtemps, la compagnie nationale s’est acharnée sur Ryanair dans une guérilla juridique (subventions illégales, non-respect du droit du travail). Elle a marqué des points mais s’est focalisée «sur un ennemi qui n’était pas forcément le sien», analyse Combe. Plus que la chasse acharnée aux coûts, c’est la simplicité du produit low-cost et son caractère dépouillé (rotation rapide des avions, utilisation intensive des appareils, pas de vols en correspondance, peu de services inclus…) qui font l’efficacité de ce modèle économique. Et le temps presse. Une note d’analyste, publiée très opportunément mardi, souligne ainsi l’intérêt d’Air France : «Faire grossir substantiellement Transavia France va permettre à la compagnie de défendre son portefeuille conséquent de créneaux horaires [slots, ndlr] sur Orly.» Cet aéroport, très prisé car aux portes de la capitale, est sous-utilisé par la compagnie nationale. Or, «l’abandon de ces slots signifie une bagarre des low-cost pour les acquérir et beaucoup de dommages pour Air France». Reste que Frédéric Gagey, le directeur général d’Air France, a préféré lâcher du lest, mardi sur Europe 1, pour tenter d’amadouer les pilotes : limiter à 30 avions (au lieu de 37) le développement à court terme de Transavia France. Pour mieux se redéployer à partir de bases européennes, comme les pilotes le redoutent ?
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