« Transport aérien : dans l’attente de l’avion vert » (Les Échos)

Emmanuel Combe a publié une chronique sur le transport aérien dans Les Échos, le 19 Décembre 2024.

 

Transport aérien : dans l’attente de l’avion vert 

5 milliards : c’est le nombre de passagers qui prendront l’avion en 2025, si l’on en croît la récente prévision de l’IATA. Un chiffre record, bien au-delà du niveau atteint avant la crise du Covid. Autant dire que cette croissance du trafic va conduire mécaniquement, si l’on ne fait rien, à une hausse des émissions de CO2. La question est alors de savoir quels leviers pourraient être rapidement activés pour surmonter le dilemme entre croissance du trafic et baisse des émissions. Disons-le d’emblée : il n’y a pas de solution unique ni magique. La décarbonation de l’aérien peut passer par une multiplicité de leviers, qui ne s’inscrivent pas dans la même temporalité et n’ont pas la même acceptabilité politique.
Un premier levier consiste à brider la croissance du trafic aérien, en augmentant le prix du billet. On songe par exemple à une augmentation des taxes environnementales. Les compagnies n’auront d’autres choix que de les répercuter dans le prix du billet, compte tenu des faibles marges du secteur. Cette hausse du prix du billet aura pour effet en retour de limiter le trafic. Ce premier levier n’est toutefois efficace que s’il est mis en œuvre au niveau international, pour éviter les distorsions de concurrence entre pays, les effets d’aubaine et de contournement. Autant dire qu’il ne peut pas être mobilisé rapidement.
Un second levier consiste à intervenir directement sur les volumes de passagers transportés. Certains ont ainsi proposé de limiter le nombre de vols par personne, en dotant chaque individu d’un « compte carbone». Une telle solution apparaît toutefois difficilement acceptable par une large majorité de la population.
Un troisième levier est de développer le report modal vers le train ainsi que l’intermodalité entre les deux modes de transport. Ce levier concerne essentiellement les trajets sur courte et moyenne distance. Il suppose de construire des infrastructures adaptées, des parcours fluides et synchronisés, ce qui prendra du temps.
Un quatrième levier consiste à miser sur les technologies de rupture. C’est la solution de l’avion vert. La propulsion électrique ou hybride, l’avion à hydrogène, les carburants durables (SAF) sont autant de pistes prometteuses sur lesquelles travaillent déjà les  acteurs de l’aérien. Elles permettront demain de remplacer le kérozène, au moins pour les vols court et moyen-courrier. Mais ce levier s’inscrit dans le long terme : par exemple, l’avion Zéro émission d’Airbus est prévu pour 2035 au plus tôt ; de même, la montée en puissance des SAF s’avère assez lente. L’avion vert à grande échelle n’est donc pas pour demain.
Un dernier levier consiste à accélérer le renouvellement des flottes d’avions. En effet, grâce à l’innovation incrémentale sur les moteurs et les matériaux composites, une nouvelle génération d’avion émet en moyenne 25% de CO2 de moins que la génération précédente. Or, à ce jour, seul un quart de la flotte mondiale est composée d’appareils de dernière génération. L’âge moyen des avions a même atteint en 2024 un niveau record de 14,8 ans. Mais, pour qu’un tel renouvellement ait lieu rapidement, encore faudrait-il que les deux constructeurs Airbus et Boeing soient en capacité de livrer chaque année plus d’avions. Tel n’est pas le cas depuis la sortie du Covid : si les carnets de commande sont pleins, la montée en cadence de la production se heurte à des goulots d’étranglement tout au long de la chaine de valeur. Les livraisons d’avions ont même fortement chuté depuis le pic de 1 813 appareils atteint en 2018 : en 2024, 1 254 appareils devraient être livrés, soit un déficit de 30 % par rapport aux prévisions du début de l’année. Parmi les nombreuses causes de cette situation : la pénurie de main d’œuvre qui touche toutes les entreprises du secteur, et en particulier les sous-traitants.
Dans l’attente de l’avion vert et pour répondre à l’urgence climatique, commençons par investir massivement dans le capital humain pour accroitre notre capacité à remplacer un parc vieillissant par des avions neufs.

 

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