« Voitures électriques : l’illusion du protectionnisme européen » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié une chronique sur le protectionnisme dans L’Opinion le 27 Août 2024.

Voitures électriques : l’illusion protectionniste européenne

Sans surprise, la Commission a annoncé que les voitures électriques importées de Chine seraient lourdement taxées : entre 17 et 37%, selon les constructeurs, qui viendront s’ajouter aux 10% de droits de douane déjà existants. Sur un plan strictement juridique, l’Europe est parfaitement fondée à mobiliser son arsenal de défense commerciale. En effet, les règles de l’OMC autorisent un pays victime de dumping ou d’importations subventionnés à mettre en place des « droits compensateurs », dès lors qu’il démontre que ces pratiques lui ont causé un préjudice. Sur un plan politique, la décision de la Commission permet également de montrer que l’Europe n’est pas « l’idiot du village mondial », à l’heure où les Etats-Unis sont en guerre commerciale avec la Chine. Pour autant, sur un plan économique, on aurait tort de se réjouir trop vite d’une telle décision.

En premier lieu, les droits de douane ne vont pas seulement faire augmenter le prix des voitures électriques chinoises mais celui de toutes les voitures électriques vendues en Europe. En effet, dès lors qu’un constructeur européen est protégé, il va lui aussi augmenter ses prix, puisque la concurrence est moins vive. A l’heure de la défense du pouvoir d’achat et de la lutte contre l’inflation, les droits compensateurs sont une mauvaise nouvelle pour des millions de consommateurs, dont on n’entend d’ailleurs jamais la voix.

En second lieu, il serait naïf de penser que la Chine ne va pas riposter, à hauteur des droits imposés par l’Europe. Les menaces de représailles sont déjà engagées, avec l’ouverture en début d’année d’une enquête anti-dumping sur le cognac. La Chine a élargi au mois de Juin la liste de ses cibles potentielles, en y ajoutant le porc européen. Il y a quelques jours, la tension est encore montée d’un cran, les Chinois lançant une investigation anti-subventions sur le lait. Même si l’Europe considère que les subventions accordées au titre de la PAC sont conformes aux règles de l’OMC, la Chine touche ici un secteur particulièrement sensible politiquement et économiquement : en 2023, les exportations de produits laitiers vers la Chine représentaient 12 % de la valeur totale des exportations agroalimentaires de l’Union vers ce pays.

En troisième lieu, le protectionnisme européen va être aisément contourné par des comportements de « tarif jumping ». Il y aura du contournement indirect via un pays tiers : il suffira pour un constructeur chinois d’installer une usine au Vietnam puis d’exporter ses voitures vers l’Europe. Il y aura également du contournement direct : BYD vient d’annoncer l’implantation d’une usine en Hongrie. A la fin des fins, des importations chinoises seront remplacées par des voitures chinoises … produites en Europe.

En quatrième lieu, si l’objectif est d’aider les constructeurs européens à combler leur retard (réel) dans l’électrique, taxer les importations n’est pas le bon instrument. Etre protégé est même plutôt désincitatif à l’efficacité et l’innovation. Et ce d’autant que les droits de douane ne sont pas dégressifs au cours du temps : on peut craindre que dans 5 ans, les industriels de l’automobile ne demandent à nouveau une protection, au motif qu’ils ne sont pas prêts. Le bon instrument aurait été de s’attaquer directement à la cause du problème : puisque nous sommes en retard dans l’électrique, l’Europe devrait accélérer dans le financement de grands programmes de rattrapage en R&D. En quelque sorte, riposter à la subvention, par la subvention.

 

 

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