Emmanuel Combe a publié une chronique sur l’inflation dans Les Echos le 7 Avril 2022.

 

 Une inflation partie pour durer ?

 

A l’heure où l’inflation ressurgit dans les pays développés, la question est de savoir si, au-delà de l’effet de rattrapage post-Covid, des politiques monétaires expansives, des tensions sur les chaines de valeur et de la guerre en Ukraine, nous allons connaitre une inflation durablement supérieure au référentiel des 2%. Quatre facteurs structurels pourraient jouer à cet égard un rôle déterminant, même s’ils peuvent être contrebalancés.

Le premier est la transition climatique. Tout d’abord, le réchauffement se traduira par la multiplication d’évènements extrêmes qui vont avoir un impact direct sur les coûts et les prix, à l’image des sécheresses qui augmentent le prix des denrées alimentaires. Ensuite, le prix des énergies fossiles va augmenter tendanciellement, notamment avec la généralisation de la taxe carbone, ce que la BCE dénomme la « fossilflation ». Enfin, les technologies propres sont coûteuses à produire et vont générer une « greenflation ». Certes, dans ce dernier cas, le développement des technologies vertes permettra de réaliser progressivement des économies d’échelle et d’expérience mais cela prendra du temps.

 

Le second facteur est la fin de la grande mondialisation commerciale née à la suite de l’Uruguay Round et de l’entrée de la Chine dans l’OMC. Cette mondialisation est à l’arrêt pour ne pas dire en recul. Tout d’abord, le coût du travail augmente tendanciellement en Chine ; de plus, on assiste à un mouvement protectionniste, qui fait monter les prix des importations et des produits domestiques protégés. Par ailleurs, suite à la crise du Covid, les pays développés vont vouloir relocaliser leurs chaines de valeur, ce qui augmentera les couts et les prix. Enfin, la mondialisation a peu de chances de retrouver demain un second souffle : les négociations multilatérales du Doha Round sont au point mort ; un désarmement protectionniste des Etats-Unis avec la Chine est peu probable, même s’il conduirait, selon une récente étude de Peterson Institute, à une réduction de l’inflation d’1,3 point ; il n’existe pas à ce jour de nouveau réservoir de main d’œuvre pour remplacer la Chine, si l’on considère que l’Afrique ou l’Inde ne réunissent pas encore les conditions d’ouverture commerciale pour prendre le relais.

 

Le troisième facteur est le vieillissement démographique dans les pays riches et en Chine. La réduction de la population active conjuguée à une hausse de la demande de travailleurs dans le secteur des services à la personne va créer des tensions sur les salaires et la production. Certes, il est toujours possible d’augmenter le taux d’emploi, notamment en reculant l’âge de la retraite, mais le sujet reste politiquement sensible. De même, la technologie peut permettre de réaliser des gains de productivité dans les services à la personne, notamment grâce à l’IA.

Le dernier facteur est le retour de la question sociale dans les pays riches. Les inégalités de revenus sont telles que les appels à une revalorisation des bas salaires sont de plus en plus pressants, dans un contexte de « grande démission ». Ils ont déjà conduit aux Etats-Unis à des hausses du salaire minimum. De plus, les autorités antitrust se penchent sur les pratiques anti-concurrentielles sur le marché du travail pour redonner du pouvoir de négociation aux salariés. Ces hausses de salaire peuvent déboucher demain sur des hausses de prix et enclencher une boucle prix salaire.

Bref, ces quatre facteurs structurels laissent à penser que le retour d’une inflation durable et plus forte, s’il n’est pas certain, constitue néanmoins un scénario crédible.

 

 

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