Emmanuel Combe a publié le 10 Octobre 2024 une chronique dans Les Échos.
Taxes sur les voitures électriques chinoises : un « abri provisoire »
Sans surprise, la majorité des Etats membres a voté en faveur de l’imposition de droits compensateurs à l’encontre des constructeurs chinois de voitures électriques, au motif qu’ils bénéficient de subventions publiques qui faussent le jeu de la concurrence. Avec des droits allant jusqu’ à 35%, qui viennent s’ajouter aux 10% déjà en vigueur, cette mesure conduira mécaniquement à réduire les importations de voitures chinoises en Europe et donnera un peu de répit aux constructeurs européens. On est ici typiquement dans une logique de « protectionnisme éducateur » : la protection doit permettre de gagner un peu de temps, le temps de permettre à l’industrie automobile européenne de combler son retard dans la production de batteries et de voitures électriques. Le succès d’une telle stratégie de rattrapage n’a toutefois rien de garanti.
Tout d’abord, pour être efficace, la protection doit être temporaire, pour avoir un effet incitatif sur la performance industrielle. Elle ne doit pas devenir une rente durable, sur le dos des consommateurs européens, qui vont payer plus chers tous les véhicules électriques, chinois comme européens. La durée de la protection devrait être fixée en fonction du temps nécessaire pour descendre le long de la courbe d’expérience. Une fois l’expérience acquise, le protectionnisme devrait être levé. En pratique toutefois, la procédure anti-dumping ne fonctionne pas de cette manière : une durée maximale de 5 ans est prévue, et, six mois avant l’expiration des mesures, les producteurs pourront demander le prolongement des droits compensateurs. La durée de la protection n’est donc pas fixée en fonction du temps estimé de rattrapage et ne prévoit pas de date de levée définitive des taxes, ce qui est problématique.
Ensuite, le rattrapage sera plus rapide si les constructeurs européens restent en concurrence entre eux sur le segment des véhicules électriques. C’est bien la concurrence en aval qui va les inciter à être performants et innovants. L’expérience chinoise et japonaise nous montre que la forte concurrence sur leur marché domestique – il n’y a pas moins de 11 groupes automobiles en Chine et 8 au Japon- a été un facteur déterminant de leur succès dans l’automobile. Il est donc important que la politique de la concurrence veille au grain, pour éviter toute pratique qui viendrait ralentir la vitesse de rattrapage.
Mais surtout, la volonté de rattrapage des européens risque d’être contrariée par les stratégies de contournement des constructeurs chinois, qui vont venir ouvrir des usines en Europe. Ce risque est réel et a déjà été observé durant les années 1990 dans la voiture à moteur thermique… avec le Japon. On pourrait se dire que l’implantation d’usines chinoises en Europe facilitera le rattrapage, grâce à des transferts de compétences et de technologies. C’est peu probable, dans la mesure où il s’agira pour l’essentiel d’usines d’assemblage de composants. Plus encore, l’implantation de constructeurs chinois en Europe va leur permettre de mieux connaître les préférences des consommateurs européens et de mieux adapter leurs voitures aux spécificités de notre marché. Paradoxalement, le protectionnisme européen pourrait bien renforcer la compétitivité des constructeurs chinois en Europe.
A vrai dire, en matière de voitures électriques, la situation critique de l’Europe ne se résume pas aux subventions chinoises jugées « déloyales ». Le fond du problème est que l’Europe n’a pas investi suffisamment depuis 20 ans dans les nouvelles technologies de motorisation. La mise en place de droits compensateurs n’est qu’une mesure indirecte, visant à faciliter le rattrapage des constructeurs européens. Pour qu’elle soit efficace, il est impératif que cette protection reste incitative et temporaire. Comme l’écrivait déjà Jean Jaurès en son temps, le protectionnisme ne doit constituer qu’un « abri provisoire ».