Emmanuel Combe a publié le 21 Mai 2024 une tribune dans Les Échos sur le protectionnisme douanier.
Protectionnisme douanier : vraiment une bonne idée ?
L’Union Européenne s’est donnée comme objectif prioritaire de développer une véritable « autonomie stratégique », visant à réduire nos dépendances à l’importation, à rattraper nos retards dans des secteurs jugés stratégiques et à préparer les ruptures technologiques de demain. Sans remettre en cause un objectif aussi légitime qu’ambitieux, on peut s’interroger sur les instruments mobilisés pour y parvenir. A cet égard, le recours au protectionnisme douanier, à l’image de la procédure anti-dumping actuellement en cours à l’encontre des voitures électriques chinoises, mérite que l’on s’y arrête. Est-on vraiment certain que l’imposition de droits de douane constitue la réponse la plus efficace ? On peut en douter pour au moins 5 raisons.
En premier lieu, les droits de douane vont se traduire mécaniquement par des hausses de prix en Europe : à la fin des fins, c’est toujours le client final qui paie la facture du protectionnisme, qu’il soit consommateur ou entreprise. Dans le cas de l’automobile, un protectionnisme douanier aura pour effet de faire monter le prix des voitures électriques chinoises mais aussi européennes, désormais protégées de la concurrence chinoise. Il en résultera une perte de pouvoir d’achat pour des millions d’Européens. Cet effet peut même affecter négativement la compétitivité de nos entreprises, si elles utilisent des produits importés soumis aux droits de douane.
En second lieu, les droits de douane vont nécessairement entrainer des représailles de nos partenaires commerciaux. Ainsi, si l’on impose des droits de douane sur les voitures électriques chinoises, la Chine imposera des contre-mesures, au travers de taxes douanières sur le cognac, voire l’agro-alimentaire, le luxe ou l’aéronautique. La Chine pourrait également riposter en réduisant ses exportations de métaux rares vers l’Europe, ce qui réduira notre capacité à produire demain des batteries électriques.
En troisième lieu, en réduisant la menace des importations, les droits de douane vont diminuer l’incitation à innover et les gains de productivité dans nos industries protégées. Le paradoxe du protectionnisme douanier est qu’il risque d’accroitre nos retards plutôt que de les combler. Comme l’écrivait si justement Jean Jaurès il y a plus d’un siècle, les barrières douanières ne constituent qu’un « abri provisoire », qui « isolent plus qu’elles ne protègent ».
En quatrième lieu, les représailles de nos partenaires vont réduire la taille des marchés à l’exportation, ce qui aura un effet négatif en termes d’économies d’échelle et un effet désincitatif sur nos entreprises exportatrices, comme l’ont montré les travaux empiriques d’Aghion et Melitz. Le protectionnisme va paradoxalement réduire ce qui fait l’une des forces de l’Europe : sa capacité à exporter. N’oublions pas en effet que l’Europe affichait en 2023 un excédent commercial avec le reste du monde de … 38 milliards d’euros.
En dernier lieu, le protectionnisme douanier sera facilement contourné par les entreprises exportatrices, au travers d’une stratégie de « tarif jumping ». Le contournement pourra être indirect, via un pays tiers, ou direct, l’exportateur venant s’implanter dans le pays protégé. Ainsi, l’entreprise chinoise BYD a annoncé l’implantation d’un premier site de production de voitures électriques en Hongrie en 2025. L’effet des droits de douane sur la reconquête industrielle risque alors d’être des plus limités : les Européens achèteront à la fin des voitures chinoises … assemblées en Europe.
Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire pour réduire nos dépendances, aider notre industrie à rattraper ses retards et préparer les innovations de demain ? A l’ évidence non. Mais une chose est certaine : le protectionnisme douanier n’est pas une solution efficace.