Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 25 Novembre 2024.
Politique industrielle : le difficile et long chemin du rattrapage
Décidément, les mauvaises nouvelles se succèdent en Europe sur le front de la reconquête industrielle. Du côté des batteries électriques, après ACC qui a mis en pause deux projets d’usine, voici que le leader suédois Northvolt vient de se déclarer en faillite. L’ambiance n’est guère plus réjouissante du côté des semi-conducteurs, avec plusieurs reports de construction d’usines.
Batteries électriques et semi-conducteurs figurent pourtant au rang des priorités de la politique industrielle européenne. L’ambition de l’Europe est de produire une partie de ses besoins pour être ainsi moins dépendante du reste du monde, et notamment de la Chine. Bref, pour retrouver une forme de souveraineté technologique. Facile à dire, difficile à faire.
En premier lieu, le rattrapage est un processus qui prendra du temps. Pour produire à des coûts compétitifs, il faut apprendre à produire et descendre le long de la fameuse « courbe d’expérience ». Une récente étude du NBER montre que cette courbe est lente dans les semi-conducteurs, autour de 3,37 %. Cela signifie que, grâce à l’expérience acquise, les coûts diminuent de 3,37 % à chaque doublement de la production. Dans le cas des batteries, la production européenne connait un taux de rebut supérieur à 40%, ce qui illustre bien la difficulté d’apprendre à produire. Une difficulté accentuée en Europe par le fait que les acteurs sont souvent de nouveaux entrants et partent donc d’une page blanche.
En second lieu, le rattrapage court le risque de ne pas coller aux évolutions des technologies, que ce soit du côté de l’offre ou de la demande : le risque est de rattraper … une technologie en déclin. Ainsi, le coup de frein observé chez ACC tient au fait que l’usine de Douvrin fabrique des batteries avec la technologie NMC, alors même que les constructeurs automobiles demandent aujourd’hui plutôt des batteries LFP. Changer de technologie en cours de route va prendre du temps et impliquer notamment de modifier les approvisionnements en matières premières et composants.
En dernier lieu, le rattrapage industriel court toujours le risque d’être à contre-temps des cycles de marché. Dans les batteries, au moment même où les usines commencent à produire, la demande de voitures électriques est en berne en Europe. Du côté des semi-conducteurs, la menace d’un ralentissement de la demande se profile à l’horizon de 2025, en particulier sur les composants électroniques utilisés dans l’automobile. Il est donc probable que l’Europe se retrouve demain dans une situation de surcapacités.
Le rattrapage technologique et industriel de l’Europe sera donc un processus long et difficile. Il pourrait être accéléré en développant des coopérations avec des pays qui font la course technologique en tête, à l’image de Taiwan, qui abrite le leader mondial de la production avancée de puces, TSMC. Le président taïwanais vient d’ailleurs d’appeler cette semaine à la signature d’un accord avec l’Union européenne. Il a déclaré que « cela permettrait non seulement de rendre nos deux économies plus résilientes et plus sûres, mais aussi de garantir le fonctionnement stable des chaînes d’approvisionnement mondiales. » La quête de souveraineté européenne pourrait bien passer demain par des coopérations poussées avec des partenaires … non européens.
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