« L’impasse protectionniste : soja, terres rares et hamburger » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié le 4 Novembre 2025 une chronique dans L’Opinion sur le protectionnisme américain

 

L’impasse protectionniste : soja, terres rares et hamburger

 

Les Etats-Unis ont fait le choix depuis le « Liberation day » du 2 Avril d’un retour massif au protectionnisme, notamment à l’encontre de la Chine. S’il est encore trop tôt pour en tirer un premier bilan, il est intéressant de se pencher sur trois épisodes récents, qui viennent jeter le doute sur l’efficacité d’une telle politique.

Premier épisode : le soja américain. Face aux droits de douane initiés par Donald Trump, la Chine ne s’est pas seulement contentée de taxer en retour les importations américaines : lorsqu’existent des sources d’approvisionnement alternatif, la Chine a décidé de se passer des Etats-Unis. Ainsi, dans le cas du soja, la Chine a remplacé les Etats-Unis par le Brésil et l’Argentine ; les importations de soja américain sont quasiment nulles aujourd’hui, privant ainsi les agriculteurs américains de leur premier débouché à l’exportation. En ciblant de fervents soutiens des Républicains, les Chinois ont visé juste : face au mécontentement des producteurs de soja, le Président Trump a dû négocier, lors de sa rencontre avec Xi Jinping à Busan la semaine dernière, un engagement de la Chine d’acheter à nouveau du soja américain, en contrepartie de la baisse des droits de douane américains. Plus encore, les droits de douane américains ont convaincu la Chine de construire une relation durable avec le Brésil, en  créant une filière dédiée « Soy China ». Bilan : le protectionnisme américain aura accéléré l’ancrage durable de la Chine en Amérique du Sud.

Second épisode : les terres rares. La Chine occupe aujourd’hui une place prépondérante sur toute la chaine de valeur, de l’extraction au raffinage en passant par la production de composants stratégiques. Elle représente 70% de l’extraction, 90% dans le raffinage et sur certains produits comme les aimants, utilisés dans l’électronique, l’automobile ou le matériel militaire. Les Etats-Unis se trouvent donc dans une situation de dépendance objective. Pékin l’a parfaitement compris et a introduit des restrictions à l’exportation de terres rares. La Chine possède ainsi une arme décisive dans la négociation avec les Etats-Unis  : à nouveau, lors de la rencontre avec Trump, Pékin accepté de mettre en pause pendant un an les contrôles à l’exportation, en échange d’une réduction des droits de douane. Plus fondamentalement, la diminution de la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine en matière de terres rares passe par la diversification des approvisionnements et la reconstitution, sur le sol américain, de capacités d’extraction et de raffinage. Bilan : mettre des droits de douane ne crée pas pour autant une filière et des usines aux Etats-Unis.

Troisième épisode : le bœuf haché. Les Etats-Unis sont un grand consommateur de ce type de viande. Il se trouve que la production américaine de bœuf est à son plus bas niveau, ce qui pousse mécaniquement les prix à la hausse. Les mesures protectionnistes du mois d’Avril -notamment les droits de douane de 50% sur les importations de bœuf brésilien- n’ont pas arrangé les choses : le prix du bœuf haché a ainsi augmenté de 15%. Face au mécontentement des consommateurs américains, Donald Trump vient de faire volte-face : il a décidé de multiplier par quatre le quota d’importations de bœuf argentin. Donald Trump découvre que le protectionnisme c’est bien souvent l’art de se punir soi-même. Bilan :  censé sauver l’Amérique, le protectionnisme a pour l’instant juste renchéri le prix du hamburger pour des millions d’Américains.

 

 

 

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