« Les deux visages des fusions-acquisitions » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 14 Janvier 2019, sur les effets d’une fusion-acquisition.

 

Les deux visages des fusions-acquisitions

Le projet de rapprochement entre Siemens et Alstom, visant à créer un « champion franco-allemand du ferroviaire » suscite les réticences de la Commission européenne, qui a demandé aux parties des cessions supplémentaires. Sans préjuger de l’issue de cette affaire, il est intéressant d’expliciter les deux effets économiques d’une fusion-acquisition (F&A).

Commençons par le plus connu, souvent mis en avant par les actionnaires pour justifier le bien-fondé de leur projet : la recherche de gains d’efficacité. Par exemple, les entreprises qui se marient vont rationaliser leurs lignes de production et bénéficier d’économies d’échelle. Une acquisition permet également d’accéder à une technologie plus moderne, ce qui fait baisser les coûts. La liste des synergies possibles est longue, même si l’expérience montre qu’elles ne sont pas toujours au rendez-vous : n’oublions pas en effet qu’une F&A sur deux échoue à créer de la valeur additionnelle.

Mais une F&A peut aussi avoir un second effet, sur lequel les entreprises sont en général moins loquaces : celui de réduire la concurrence sur le marché, par la disparition d’un acteur indépendant. En particulier, lorsque le marché présente de fortes barrières à l’entrée et un faible nombre d’opérateurs, une opération de F&A peut faire monter les prix. Cet effet est d’autant plus probable lorsque les candidats au mariage ont des produits proches.

Prix augmentés. Supposons par exemple que deux entreprises A et B décident de se marier, sur un marché comprenant quatre acteurs A, B, C, D. Les clients considèrent les produits de B comme de proches substituts de ceux de A. Après le mariage, l’entreprise A peut avoir intérêt à augmenter le prix de ses propres produits : une partie de ses clients se reportera sur… les produits de l’entreprise B, qui est désormais sa filiale. Plus encore, une F&A peut inciter les concurrents à réagir, en augmentant à leur tour leur prix : de manière paradoxale, une fusion entre A et B va alors profiter à C et D. Une étude réalisée en 2008 sur données boursières a ainsi montré qu’une F&A conduisait dans 21 % des cas à faire monter le cours de l’action… des concurrents qui ne participent pourtant pas à l’opération.

Au-delà du prix, une F&A peut aussi avoir un impact négatif sur l’incitation à innover. Ainsi, en 2017, à l’occasion de la fusion entre Dow et Dupont, la Commission européenne a estimé que l’opération en l’état aurait dissuadé les parties de poursuivre leurs efforts de recherche dans des domaines comme les herbicides, où ils sont en concurrence frontale. En guise de remède, elle a exigé que les parties cèdent la totalité de la R&D de DuPont à un concurrent. On peut même imaginer un cas, certes rare, dans lequel un rachat d’entreprise est motivé par la volonté d’empêcher l’apparition sur le marché d’un nouvel acteur, en train de développer un produit concurrent. Une étude de Cunningham (2018) sur le secteur pharmaceutique montre que dans 6,4 % des cas, le rachat d’un concurrent innovant conduit ensuite l’acquéreur à stopper ses recherches. Une acquisition qui se révèle meurtrière (« killer acquisition »)… pour la concurrence future.

Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema business school.

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