Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 26 Octobre 2018, sur l’avenir des magasins physiques.
Le magasin physique a encore un avenir
Quelle est l’enseigne préférée des Français ? Selon la récente enquête du cabinet OC & C, il s’agit de Grand Frais. Figurent également dans le top 10 Picard, Leclerc et Biocoop, le géant Amazon se voyant relégué à la 12e place.
Ce classement nous montre que le commerce alimentaire physique est plébiscité, dès lors qu’il affiche une offre claire et spécialisée sur une thématique : les prix bas (Leclerc), le surgelé (Picard), le bio (Biocoop), les produits frais (Grand Frais). Il vient également nous rappeler que faire ses courses alimentaires n’est pas forcément synonyme de corvée, pour peu que l’expérience client soit renouvelée, notamment au travers d’un parcours d’achat efficace et qualitatif, qui mise sur la différenciation des produits. A cet égard, on notera que les enseignes plébiscitées sont souvent des distributeurs qui proposent leurs propres marques, à l’image de Biocoop ou de Picard dans l’alimentaire ou de Decathlon et Ikea, dans le non alimentaire.
La présence en rayon de marques mondiales de grands fabricants n’est plus un passage obligé : en misant sur les marques propres, mais aussi sur le « made in France » et les circuits courts, les enseignes plébiscitées donnent un ancrage local à leur offre, à même de conquérir le cœur des clients, en quête de consommation responsable. On est bien loin de l’anonymat des linéaires d’hypermarché alignant de grandes marques mondiales ou du pur commerce en ligne façon Amazon, perçu comme distant.
Modèle omnicanal. Autre enseignement : l’opposition entre petit commerçant indépendant et grande surface n’a plus grand sens. On peut avoir la puissance d’achat d’un grand distributeur et le format d’un commerce spécialisé, en misant sur un réseau de franchisés, à l’image de Grand Frais. Au-delà des produits frais, c’est tous les segments de l’alimentation qui peuvent évoluer demain vers le modèle de la chaîne spécialisée, à l’image de ce que l’on observe déjà dans la boulangerie.
C’est dire que le commerce physique alimentaire a encore un avenir, même à l’heure de la « révolution numérique ». Constatons d’ailleurs que le commerce en ligne de produits alimentaires reste encore peu développé en France, avec une part de marché de 7 %. Plus encore, grâce au numérique, les magasins physiques vont pouvoir réduire l’aspérité du passage en caisse, en misant sur le paiement par smartphone. Mais surtout, l’expérience montre que dans l’alimentaire les modèles en ligne sont adossés à des magasins physiques, que ce soit le drive ou la commande sur internet approvisionnée à partir d’un magasin de proximité. Pour l’heure, c’est bien le modèle omnicanal qui s’impose, plus que le modèle « pure player », fondé sur des entrepôts en périphérie des grandes zones urbaines.
Si Amazon veut exister demain sur le marché de l’alimentaire et du frais, il va devoir opérer un mouvement stratégique, comme il l’a déjà fait aux Etats-Unis en rachetant Whole Foods en 2017 : acquisition ou partenariat avec une enseigne de proximité – à l’image de la récente alliance avec Monoprix sur Paris —, voire ouverture de point de ventes/livraison en milieu urbain. Pour conquérir demain le cœur des consommateurs français dans l’alimentaire, les magasins en ligne n’auront d’autre choix que de se rapprocher… des magasins physiques.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema business school.