Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 6 Février 2025.
« Une guerre commerciale entre les Etats-Unis et le Canada serait une mécanique perdant-perdant »

Comme il l’avait annoncé durant sa campagne, Donald Trump a mis à exécution l’une de ses promesses électorales, avant de la suspendre pour un mois : imposer des droits de douane à l’encontre du Canada. Alors qu’on ignore si le président américain appuiera in fine sur le bouton, il est intéressant de se pencher sur les effets probables qu’auraient de telles taxes douanières sur les deux partenaires commerciaux. La Banque du Canada vient de se livrer à cet exercice et sa conclusion est sans appel : les deux pays en sortiraient perdants.
Commençons par le début : comment réagiraient les exportateurs canadiens en cas de taxe américaine à l’importation de 25% sur les produits canadiens ? Ils pourraient choisir de réduire leur marge pour absorber complètement la taxe, de telle sorte que le prix aux Etats-Unis ne change pas. Une telle solution semble improbable, compte tenu de l’ampleur des droits de douane évoquée. Il est plus probable qu’ils reporteraient progressivement la taxe dans le prix de vente aux Etats-Unis. Il en résulterait une hausse du prix des biens importés du Canada sur le sol américain.
Spirale. Mais l’impact sur les prix ne s’arrêterait pas là puisque le Canada riposterait, comme il était prêt à le faire, avec des taxes de 25% sur un montant équivalent d’importations. Ces représailles alimenteraient ainsi une véritable spirale inflationniste, dans la mesure où les chaînes de valeur industrielle sont très intégrées entre le Canada et les Etats-Unis : les composants d’un même produit traversent plusieurs fois la frontière. Prenons le cas réaliste d’une entreprise américaine de pièces automobiles qui importe de l’acier canadien. En cas de taxe, elle paierait son acier plus cher, ce qui augmenterait ses coûts de production. Elle reporterait cette hausse dans ses prix. Comme les pièces détachées sont ensuite exportées au Canada pour être assemblées dans une usine de voitures, elles seraient à leur tour taxées par le Canada, faisant à nouveau monter les coûts et les prix. Et les voitures assemblées au Canada puis exportées aux Etats-Unis seraient soumises à nouveau à des droits de douane de 25% ! Autant dire que ces taxations successives feraient grimper l’addition pour le consommateur américain.
On nous objectera que tel était le but recherché : faire augmenter le prix des voitures importées aux Etats-Unis pour inciter les consommateurs américains à acheter des voitures assemblées localement. Mais c’est oublier que les constructeurs présents aux Etats-Unis, s’ils sont protégés par un droit de douane de 25%, en profiteront aussi pour augmenter leurs prix. Même scénario côté canadien.
Du côté de la production, le paysage ne serait guère plus reluisant. Pour ce qui est des Etats-Unis, la hausse de la production locale de voitures, destinées au marché local, augmenterait. Mais cet effet serait compensé par l’impact négatif des représailles : les Etats-Unis exporteraient moins de voitures, puisque le Canada se serait protégé. Même scénario du côté canadien.
Au final, le bilan économique de la « guerre commerciale » est aussi clair qu’implacable : une inflation plus forte dans les deux pays, sans gain net pour la production. Le protectionnisme est décidément une bien mauvaise politique économique.
Emmanuel Combe est professeur des Universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, professeur associé à Skema Business School.