« Mon intérêt général » (L’Opinion)

0
Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 22 Mars 2016 sur la réforme du marché du travail en France.

 

Mon intérêt général

Le tragique destin de la loi El Khomri démontre une nouvelle fois que les réformes audacieuses butent dans notre pays sur le dogme du « gagnant-gagnant » : une réforme n’est acceptable qu’à partir du moment où elle satisfait l’ensemble des parties prenantes.

Disons-le tout net : une réforme dans laquelle tout le monde gagne n’est pas une réforme. Réformer consiste par principe à modifier les équilibres existants, à bousculer les situations acquises, dans le but de créer un nouvel équilibre plus favorable pour la collectivité. Les moins avantagés verront leur situation s’améliorer grâce à la réforme, tandis que les plus protégés seront moins bien lotis qu’avant. L’essentiel est que les bénéficiaires de la réforme gagnent plus que ceux qui y perdent. Ainsi, le projet initial de la loi El Khomri visait à faciliter les conditions d’embauche et de licenciement, pour le plus grand bénéfice des personnes éloignées du marché du travail – les 20 % de jeunes sans diplôme- mais en limitant en contrepartie la protection de ceux ayant accès à l’emploi.

Lorsqu’il engage une réforme, le décideur politique doit donc convaincre l’opinion publique que l’intérêt général qu’il incarne ne se résume pas à la préservation des positions acquises. L’exercice s’avère délicat dans la mesure où les forces en présence sont asymétriques : les bénéficiaires de la réforme ne sont pas organisés et peinent à faire entendre leur voix ; de leur côté, les « insiders » sont prompts à se mobiliser, en invoquant au soutien de leur cause… l’intérêt général. S’ils agissent contre la réforme, nous disent-ils, ce n’est pas pour eux-mêmes mais pour le bien des autres, pour préserver des intérêts supérieurs, tels que le « modèle français », la sécurité, la qualité ou la santé publique. Par une sorte d’inversion des rôles, ils vont transformer la préservation de leurs intérêts particuliers en défense de l’intérêt général et parfois même… accuser les pouvoirs publics de promouvoir au travers de la réforme d’autres intérêts particuliers, que ce soit ceux du Medef, de la finance ou du droit anglo-saxon.

Bénéfices clairs. Difficile dans ces conditions pour le décideur politique de faire entendre sa voix, à moins d’expliciter clairement l’intérêt général qu’il entend promouvoir : au nom de qui et de quoi réforme-t-il ? L’opinion publique doit pouvoir mettre un visage sur les bénéficiaires de la réforme : à cet égard, les réformes qui profitent à tous – songeons à des mesures en faveur du pouvoir d’achat – sont plus difficiles à défendre car leurs effets sont diffus. De même, les bénéfices de la réforme doivent être clairement énoncés et ne pas se résumer à des gains monétaires, dont le chiffrage sera aussitôt contesté.

A cet égard, il est plus judicieux de porter la réforme sur le terrain des valeurs. Par exemple, dans sa réforme du notariat, Emmanuel Macron a dès le départ placé son projet sous le signe de l’égalité des droits, rendant ainsi la critique plus délicate : en effet, au nom de quel principe supérieur devrait-on empêcher de jeunes notaires de s’installer librement, dès lors qu’ils remplissent les conditions de diplômes ?

Dans sa volonté réformatrice, le décideur politique ne doit jamais oublier de brandir l’étendard de l’intérêt général ; au risque sinon de laisser le champ libre à tous ceux qui l’utiliseront pour mieux défendre… leurs intérêts particuliers.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici