« Lutte contre les cartels : case prison ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 30 Juillet 2018, sur la lutte contre les cartels.

 

Lutte contre les cartels : case prison ?

Il y a quelques années, la Commission européenne a infligé une amende d’un milliard et demi d’euros à huit grandes banques, pour avoir organisé une entente sur les indices Euribor et Libor. Cette affaire dite du « cartel de l’Euribor » vient de connaître un rebondissement intéressant au Royaume-Uni : une cour londonienne a infligé une peine totale de treize ans de prison à deux anciens traders français, qui avaient joué un rôle actif dans le fonctionnement du cartel.

Ce type de sanction reste assez rare en Europe, alors qu’il est monnaie courante aux Etats-Unis : au cours des dix dernières années, pas moins de 266 managers ayant participé à des cartels ont été envoyés derrière les barreaux outre-Atlantique, avec des peines de l’ordre de deux ans. Au pays du libéralisme revendiqué, il ne fait pas bon de comploter contre le marché et d’enfreindre les règles de la concurrence ! A l’inverse, en Europe, l’essentiel de l’action répressive est dirigé à l’encontre des personnes morales tandis que les personnes physiques sont plutôt épargnées.

Pourtant, l’idée de poursuivre les managers, parallèlement à l’action des autorités de concurrence, n’a rien d’absurde dans son principe. En effet, un manager peut avoir une incitation personnelle à s’engager dans un cartel, pour accroître ses performances, accélérer sa carrière ou percevoir un bonus plus élevé. Il n’est pas le simple exécutant zélé d’une stratégie décidée par les actionnaires ; il fait aussi un choix individuel et rationnel, celui d’accroître les profits de manière illicite, en comparant le gain personnel qu’il retirera de l’infraction avec son coût espéré, s’il se fait prendre. En l’absence de toute sanction individuelle – si ce n’est le risque éventuel d’être licencié par son employeur – le coût de l’infraction est pour lui proche de zéro. Introduire la possibilité de sanctions pénales ou administratives l’inciterait sans doute à réfléchir à deux fois avant d’enfreindre la loi.

Disqualification. Faut-il, pour autant, recourir à l’arme fatale de la prison ? Pas forcément. Tout d’abord, en Europe, les pratiques de cartel ne sont pas suffisamment stigmatisées au sein de la population pour qu’une solution si radicale puisse prospérer. On peut à cet égard relever qu’en France, si le fait de « prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante » dans l’organisation d’une entente est passible de quatre ans de prison et 75 000 euros d’amende, en pratique, cette disposition du Code de commerce n’est quasiment jamais appliquée. En outre, les peines de prison ferme sont assez coûteuses pour les deniers publics.

Mais surtout, il existe une solution alternative à la prison, tout aussi dissuasive : mettre sur la touche les managers qui ont enfreint la loi. Cette solution dite de « disqualification » existe déjà en matière financière : l’Autorité des marchés financiers peut ainsi prononcer des interdictions d’exercer temporaire ou définitive à l’encontre de personnes physiques qui se sont livrées à des abus de marché. Les sanctions administratives sont parfois lourdes : en mai dernier, un conseiller financier s’est vu ainsi interdire d’exercer pendant dix ans, pour avoir trompé ses clients sur la réalité des risques d’un placement.

Entre l’arme fatale de la prison et l’impunité totale des managers, la disqualification constitue une solution pragmatique qui mériterait d’être explorée, pour mieux lutter contre l’une des pratiques les plus injustifiables qui soit en économie de marché : les cartels.

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