« Le marché n’est ni de gauche ni de droite » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 21 Novembre 2017, sur les programme d’économie au lycée.

 

Le marché n’est ni de gauche ni de droite

A la faveur d’un arrêté publié à l’aube de l’été, le ministère de l’Education nationale a décidé d’alléger le programme de Sciences économiques et sociales (SES) en classe de seconde, au motif qu’il était trop lourd. Rappelons que l’initiation aux SES a été rendue obligatoire à la faveur de la réforme Chatel de 2010. Une réforme ambitieuse, à laquelle l’auteur de ces lignes a participé et qui permet, chaque année, à plus de 500 000 élèves de découvrir, outre la sociologie, les rouages de l’économie. Une réforme salutaire, qui vise à donner aux jeunes des outils pour mieux comprendre le monde dans lequel ils vont vivre et travailler demain, qu’ils deviennent ingénieurs, commerciaux ou artistes.

Le problème est que les experts de la rue de Grenelle ont décidé de rendre facultatif le chapitre sur… « marchés et prix ». Effacer l’étude du marché en économie, c’est un peu comme supprimer l’anatomie en médecine. Le marché, lieu – physique ou virtuel — où se rencontrent une offre et une demande, est au fondement même de toute analyse économique. Il n’est ni libéral, ni de gauche, ni de droite.

D’ailleurs, les marchés existent dans tous les pays, fussent-ils à économie planifiée. Ainsi, dans l’ex Union soviétique, il y avait des marchés, qui s’ajustaient non par les prix mais… par les quantités, c’est-à-dire par la pénurie et la file d’attente : quand la demande est supérieure à l’offre et que les prix sont fixés, les clients font la queue dans les magasins pour obtenir une ration de pain. Il existait également en Union soviétique des marchés parallèles, sur lesquels les prix libres signalaient l’évidente pénurie de certains produits de base. Dans un pays comme les Etats-Unis, l’ajustement entre l’offre et la demande se fait plutôt par les mouvements de prix, à la hausse ou à la baisse, parfois amplifiés par la spéculation. Les marchés sont donc partout, qu’on le veuille ou non.

Outil d’analyse. Plus encore, les marchés prennent de multiples formes, parfois inattendues : il y a bien entendu les marchés de produits (y compris des produits illicites comme la drogue), le marché du travail, le marché des capitaux. Mais il existe aussi d’autres marchés, comme le marché… politique : des offreurs – les candidats — y proposent des programmes aux demandeurs – les citoyens qui votent — et tentent de se différencier entre eux pour éviter une concurrence des idées trop frontale. Le marché est donc un outil d’analyse puissant, qui permet de jeter un regard neuf sur nombre de sujets.

Etudier le marché, ce n’est pas le glorifier mais en comprendre la mécanique interne, pour en souligner éventuellement les limites ou dysfonctionnements. Ainsi, le marché est parfois un lieu de pouvoir, ce qui peut justifier l’intervention correctrice de l’Etat. Mais on ne peut vraiment comprendre la lutte contre les abus de marché, sans avoir au préalable disséqué et compris leur fonctionnement concret. Etudier la régulation sans les marchés, c’est mettre la charrue sans les bœufs.

La décision de la rue de Grenelle est donc surprenante. On se demande d’ailleurs si elle relève du pur dogmatisme – le marché étant assimilé à tort à une idéologie libérale, de droite ou pro-entreprise – ou de l’ignorance intellectuelle. Quoi qu’il en soit, c’est une mauvaise nouvelle. Et un mauvais service rendu à la jeunesse de notre pays.

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