« La mondialisation n’a pas aboli les frontières » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 3 Août 2016 sur l’effet frontière.

 

La mondialisation n’a pas aboli les frontières

Le commerce international traverse depuis plusieurs années une mauvaise passe. Selon le dernier rapport de l’OMC, les échanges n’ont progressé que de 2,8 % en volume en 2015 et cette tendance anémique devrait perdurer sur 2016. Du côté des négociations commerciales, les nouvelles ne sont guère plus réjouissantes : le cycle de Doha est toujours au point mort… quinze ans après son lancement, faute d’un accord entre les 163 membres de l’OMC. Quant au TTIP, les réticences sont telles en Europe et aux Etats-Unis que la signature d’un traité de libre-échange apparaît compromise.

Si l’ouverture commerciale marque le pas, c’est d’abord parce qu’un puissant vent protectionniste souffle dans la plupart des pays, alimenté par des discours populistes de repli sur soi. Ces discours ont tous un point commun : ils présentent la mondialisation comme l’abolition de toute frontière entre les pays. La planète serait ainsi devenue un vaste espace commercial indifférencié. Cette vision ne correspond toutefois pas à la réalité.

Certes, les pays sont plus ouverts qu’il y a vingt ans : le taux d’ouverture atteint aujourd’hui 30 % en moyenne, contre 20 % en 1996. Mais cela signifie donc que 70 % des marchandises produites ne sont pas exportées et restent à l’intérieur du pays !

De même, si tous les pays commercent aujourd’hui avec la Chine, il faut toutefois garder raison : les pays riches commercent d’abord entre eux, surtout lorsqu’ils sont proches géographiquement. N’oublions pas que 70 % du commerce européen a pour destination un autre pays d’Europe. Le premier partenaire commercial de la France, c’est la zone Euro, avec laquelle nous affichons d’ailleurs le plus gros déficit commercial, loin devant celui avec la Chine.

Mais surtout, il serait illusoire de penser que les frontières entre pays ont disparu, au motif que les produits peuvent circuler librement. Même lorsque les postes douaniers ont été supprimés, il existe toujours un « effet frontière ». Dès 1995, l’économiste Mc Callum constatait que la Colombie britannique commerçait dix fois plus avec l’Ontario, autre province du Canada, qu’avec le Texas, situé pourtant à la même distance que l’Ontario. Si les frontières n’existaient plus du tout entre le Canada et les Etats Unis, alors la Colombie britannique devrait commercer vingt fois plus qu’elle ne le fait avec le Texas américain, qui est beaucoup plus riche que l’Ontario canadien. Cet « effet frontière », confirmé également en Europe, montre qu’il existe des obstacles informels aux échanges entre pays : les différences culturelles et juridiques, les préférences des consommateurs, etc. Bref, on est encore loin de l’espace mondialisé, sans frontières et indifférencié, fantasmé par les chantres du protectionnisme.

Mais alors comment expliquer ce sentiment d’une mondialisation omniprésente dans notre vie quotidienne ? La réponse est sans doute à rechercher dans un phénomène récent : l’explosion du commerce de composants, qui représente 30 % des échanges mondiaux. Un iPhone incorpore des composants japonais, coréens, allemands, chinois, même s’il a été conçu en Californie. Tous les produits, ceux que l’on exporte, sont peu ou prou « made in the world ». Voilà une raison supplémentaire de douter du bien-fondé d’un discours protectionniste, à l’heure des chaînes mondiales de valeur : vouloir produire 100 % local est devenu une douce illusion ou une parfaite folie.

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