« La gratuité n’existe pas » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 3 Avril 2016 sur la notion de « gratuité ».

 

La gratuité n’existe pas

La décision du département du Calvados de faire payer aux usagers certaines interventions des pompiers a suscité de fortes critiques, au nom du sacro-saint principe de « gratuité ». Une notion largement répandue dans notre pays, où chaque individu dispose d’un droit à bénéficier d’un grand nombre de services publics « gratuitement » : éducation nationale, hôpital, etc.

Mais ne nous y trompons pas : en économie, la gratuité n’existe pas puisque la production d’un bien ou d’un service génère un coût qui doit être supporté, à un moment ou l’autre, par quelqu’un. Dans le cas de services publics, ce quelqu’un est tout simplement le citoyen, qui s’acquitte de l’impôt. Dans le cas d’une offre marchande, la gratuité consiste pour l’essentiel à faire payer autrement. Par exemple, les clients qui valorisent le plus une prestation vont la payer très cher, tandis que les autres en bénéficieront gratuitement : songeons aux boîtes de nuit qui pratiquent l’entrée libre pour les filles, afin de mieux faire payer… les garçons. De même, un journal « gratuit » pour les lecteurs sera largement diffusé, ce qui permettra ensuite de vendre aux annonceurs des pages publicitaires.

Produit d’appel. Le problème de la gratuité est qu’elle distend le lien entre paiement et consommation: le payeur n’est pas toujours celui qui consomme ; le consommateur n’a plus idée de ce que coûte réellement la production, rendant ainsi difficile toute appréciation. Dans le cas d’une offre marchande, la gratuité peut même engendrer le doute chez le client : la carte de crédit offerte par la banque la première année est en réalité un « produit d’appel » qui sera rentabilisé demain par des frais bancaires, dont on peut difficilement évaluer a priori le montant.

De même, les prestations incluses dans un « package » donnent l’illusoire sentiment de la gratuité, sans que le client puisse assigner véritablement un prix à chaque prestation : dans le prix d’un billet d’avion, combien vaut le repas « offert » durant le vol ? C’est d’ailleurs sur cette défiance et cette confusion que le modèle low cost a bâti son succès : en donnant un prix à chaque composant d’une prestation, il rétablit un lien direct entre prix et droit à consommer, permettant ainsi au client de choisir ce qui lui convient.

Dans le cas de services publics, la gratuité conduit à passer sous silence le véritable coût de la prestation : sauf à lire les rapports de la Cour des comptes, quel citoyen sait par exemple que le lycée public « gratuit » coûte chaque année 10 102 euros par élève ? Ce coût pose question, lorsqu’on le met en relation avec les piètres performances de notre pays au test PISA : nous y occupons le 25e rang, en dépensant pourtant 38 % de plus que les autres pays de l’OCDE. Expliciter ce coût permettrait de débattre enfin de l’efficacité de la dépense publique d’éducation : comment obtenir de meilleurs résultats en dépensant la même somme ?

Parmi les réponses possibles, l’une consisterait à faire un chèque annuel de 10 102 euros à chaque citoyen pour qu’il l’investisse dans le lycée de son choix. Nul doute que les parents des 140 000 « décrocheurs » qui quittent chaque année notre système scolaire sans aucun diplôme, privilégieraient de nouveaux établissements avec de nouvelles pédagogies. La gratuité ne doit pas devenir un carcan ou un prétexte pour supprimer toute liberté de choix.

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