« Éducation : réduire le grand écart » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 23 Septembre 2015 sur l’éducation en France.

 

Éducation : réduire le grand écart

60 % d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieur : voilà l’objectif que le chef de l’Etat vient d’assigner à notre pays. Un objectif ambitieux, qui s’inscrit dans la stratégie « Europe 2020 » de l’Union, visant à faire de notre continent une terre de « croissance intelligente ». L’enchaînement économique est clair : un niveau de qualification plus élevé se traduira par des gains de productivité plus forts et donc un taux de croissance plus soutenu.

Mais une telle ambition ne doit pas nous détourner d’un autre combat essentiel pour notre jeunesse : celui contre l’échec scolaire qui touche dans notre pays 22 % des élèves de 15 ans (selon Pisa-OCDE). C’est beaucoup plus qu’au Canada (14 %) ou qu’en Allemagne (17 %). C’est aussi beaucoup plus qu’il y a dix ans, la proportion d’élèves en difficulté ayant augmenté de 4 points.

On nous objectera qu’il est vain d’opposer lutte contre le décrochage scolaire et insertion des jeunes dans le supérieur puisque les deux politiques se complètent. Mais on peut aussi craindre, si les résultats de la lutte contre l’échec scolaire ne suivent pas ceux de l’accès à l’enseignement supérieur, que les différences de niveau entre élèves ne grandissent encore, dans une France qui se singularise déjà comme le « pays du grand écart » (Baudelot) en matière éducative. Plus encore, on peut considérer que le meilleur moyen d’accroître naturellement le nombre d’étudiants dans le supérieur est de disposer du plus large vivier possible d’élèves dans l’enseignement secondaire… ce qui passe par une réduction de l’échec scolaire.

Le décrochage a un coût. Lutter contre le décrochage scolaire n’est pas seulement affaire de morale ; c’est d’abord une question économique : laisser sortir chaque année 120 000 jeunes de l’école sans aucun diplôme nous coûte très cher. Un coût en termes de croissance perdue : le manque de qualification se traduit par une productivité plus faible et des coûts de changement d’emploi plus élevés ; difficile par exemple d’implanter un nouveau robot sur une chaîne de production lorsque les salariés ne disposent pas des compétences minimales que l’école délivre. Un coût budgétaire ensuite : 50 % des jeunes sans diplôme se retrouveront au chômage ou en situation de forte précarité, à moins qu’ils ne sombrent dans la délinquance… qui est elle-même très coûteuse. Le coût du « décrochage scolaire précoce » serait de 1 à 2 millions d’euros par personne quittant prématurément le système scolaire, somme calculée sur la totalité de la vie active.

Nous devons donc avoir la même mobilisation pour la lutte contre l’échec scolaire que celle que nous voulons déployer demain pour l’accès au supérieur. L’exemple allemand nous montre la voie : lorsque l’étude Pisa a révélé en 2001 les piètres performances scolaires de nos voisins d’Outre-Rhin, un vrai « choc Pisa » a eu lieu dans tout le pays. La mobilisation générale a aussitôt été décrétée : moyens supplémentaires alloués aux écoles, profonde réforme de l’organisation scolaire et des méthodes d’enseignement, etc. Une mobilisation qui a porté ses fruits : dix ans plus tard, l’Allemagne fait mieux que la moyenne de l’OCDE. Une mobilisation dont le chancelier Schröder avait parfaitement résumé la motivation… économique : « Celui qui échoue à mobiliser tout le potentiel des dons de la nation perdra la compétition internationale ».

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