« Airbus/Bombardier : effet boomerang » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 23 Octobre 2017 sur le rachat du programme Cseries par Airbus.

 

Airbus/Bombardier : effet boomerang

Coup de tonnerre dans le petit monde des constructeurs aéronautiques : Airbus a annoncé qu’il prenait le contrôle du programme Cseries du canadien Bombardier.

Cet accord est tout d’abord intéressant d’un point de vue microéconomique : dans la bataille de géants que se livrent Airbus et Boeing, Airbus vient de marquer un point, en complétant son portefeuille de produits, auquel il manquait des avions de 100 à 150 places. Désormais, Airbus est en mesure d’offrir à ses clients une gamme complète d’appareils monocouloirs de 100 à 615 passagers, avec l’A380. Un argument commercial de taille auprès des compagnies aériennes historiques, qui doivent gérer à la fois de petits flux de passagers avec de petits modules — un Paris/Pau en milieu de journée par exemple — et de grandes lignes internationales à fortes capacités comme Paris/New York.

Mais le rapprochement entre Airbus et Bombardier est aussi intéressant d’un point de vue plus macroéconomique. En effet, l’accord prévoit qu’Airbus ouvrira une seconde ligne de production aux Etats-Unis, pour y assembler notamment les Cseries destinés au marché américain. Cette décision n’est pas anodine : elle fait suite à celle du gouvernement américain d’imposer des droits de douane à l’encontre de Bombardier, accusé par Boeing d’avoir pratiqué des prix de « dumping » lors de la vente d’appareils à Delta. Des droits de douane qui s’élèvent à …220% !

Tarif jumping. En produisant grâce à Airbus sur le sol américain, Bombardier va devenir une entreprise locale, ce qui lui permettra d’échapper aux droits de douane. Ce comportement, qualifié de « tarif jumping » en économie n’a rien de nouveau : durant les années 1980, Européens et Américains avaient déjà tenté de limiter la déferlante de produits japonais, en limitant les importations, au travers d’accords dit de « restrictions volontaires d’exportation ». La riposte ne s’est pas faite attendre : les constructeurs japonais ont massivement implanté des usines tournevis sur le vieux Continent pour y assembler des magnétoscopes et téléviseurs, tandis que Toyota ouvrait de grandes unités de production aux Etats-Unis. Partie de zéro, la production américaine de voitures japonaises atteint aujourd’hui pas moins de 6 millions de véhicules, soit 40% de la production locale !

Ces exemples concrets nous démontrent que le protectionnisme ne marche pas parce qu’il se heurte aux stratégies de contournement des grandes entreprises : lorsque l’on bloque les produits par des taxes prohibitives, ce sont les usines qui se déplacent !

Plus fondamentalement encore, l’accord Airbus/Bombardier vient nous rappeler que sur un marché oligopolistique — c’est-à-dire avec un petit nombre d’acteurs —, les comportements sont tous interdépendants, comme le démontre la théorie des jeux : lorsqu’un acteur prend une décision stratégique — à l’image de Boeing qui a tenté de limiter l’entrée de Bombardier sur le marché américain —, les concurrents réagissent aussitôt à cette première décision pour la contrer. Au point de créer parfois un « effet boomerang » : en voulant bloquer Bombardier, Boeing a sans doute rendu son premier et principal concurrent, Airbus, plus fort.

Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema Business School.

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