Air France : la dangereuse spirale de l’attrition (Le Monde)

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Attaquées par les low cost sur le moyen-courrier, concurrencées par les compagnies du Golfe et asiatiques sur le long-courrier, les compagnies majors européennes – au premier rang desquelles Air France – sont aujourd’hui tentées de réduire la voilure, en renonçant à des positions sur des lignes trop déficitaires. Mais une telle stratégie défensive s’avère risquée : elle peut conduire à une véritable « spirale de l’attrition ».

Le premier risque touche aux ressources humaines. Lorsque la réduction d’activité entraîne une baisse du nombre de salariés, l’entreprise met en œuvre, selon la réglementation sociale locale, un plan de départ, appelé en France, plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Dans ce cadre, des règles strictes s’appliquent afin de protéger les personnels ayant le plus d’ancienneté ou qui se trouvent dans des situations familiales particulières.

Partant d’un objectif honorable, la règle conduit toutefois au départ des plus jeunes recrues, c’est-à-dire de ceux qui sont le plus à même d’insuffler une nouvelle dynamique ; plus grave encore, la politique d’attrition va conduire à une perte d’attractivité de l’entreprise aux yeux des nouveaux talents.

Le second risque concerne la structure de coûts. Si la réduction volontaire du chiffre d’affaires conduit mécaniquement à diminuer les charges variables (personnel, pétrole, charges aéroportuaires, etc.), l’ajustement des charges fixes risque d’être plus long à redimensionner (immobilier, avions, systèmes d’information…), ce qui se traduit par une compression des marges et une diminution des cash-flows.

Seule British Airways

Les effets d’échelle s’amenuisent, tandis que la capacité à investir, notamment dans le renouvellement de la flotte, s’amoindrit. En situation d’attrition, seule une baisse sévère du coût unitaire peut permettre à l’entreprise de rétablir des coûts au siège kilomètre conformes aux standards du marché. Historiquement, en Europe, seule British Airways a réussi ce pari au cours des dernières années, alors que son chiffre d’affaires se contractait de plus de 10 %.

Cette restructuration s’est faite au prix de plans de départ massif de personnel. Une fois la base de coût rétablie, la recherche de synergies par augmentation de la taille redevient possible, comme l’ont démontré les compagnies américaines : après avoir mis en œuvre des plans de redressement importants sous l’égide du chapitre 11 [de la loi américaine sur les faillites des entreprises], elles se sont engagées dans une course aux fusions, pour retrouver des effets d’échelle.

Le troisième risque touche à l’attractivité commerciale. En réduisant le nombre de destinations couvertes, la compagnie va offrir moins de choix à ses clients, diminuant du même coup la force de son programme de fidélité. Les concurrents ne manqueront pas de saisir l’espace client ainsi abandonné. Pour pallier ce risque, une major doit donc impérativement poursuivre ses partenariats avec d’autres compagnies, pour couvrir tous les continents.

De même, la stratégie de l’attrition vient réduire le volume des données relatives aux clients, ce qui conduit en retour à diminuer la valorisation associée au nouveau Graal du « Big data ». Ainsi, lorsque Qantas, en Australie, a annoncé la volonté de se séparer de son programme de fidélité, et donc d’une partie de sa donnée clients, la compagnie a connu une forte baisse de sa valeur boursière. Elle a fait rapidement marche arrière et son programme de fidélité représente aujourd’hui son activité la plus profitable.

Face aux dangers de l’attrition, les majors peuvent faire un autre choix, plus porteur d’avenir et d’optimisme : celui de redéployer leurs ailes en direction de nouveaux clients, de nouveaux besoins, de nouveaux marchés. Ce redéploiement peut prendre appui sur plusieurs axes porteurs.

Mouvement de montée en gamme

Sur le marché du moyen-courrier point à point, les majors doivent se positionner clairement et sans état d’âme sur le modèle low cost, à l’image de ce qu’a fait British Airways avec Vueling : sur ce segment en croissance, les low cost ont gagné la partie et il est illusoire de penser qu’un retour en arrière sera possible demain. Cela signifie en particulier que toutes les lignes à dominante loisir doivent obéir aux règles de production et de consommation low cost, sur le marché domestique comme à l’international.

A contrario, les lignes qui alimentent le « hub » n’ont pas vocation à passer en mode low cost, afin d’assurer une continuité de prestation et de maintenir une unicité de marque avec le long courrier. Sur le marché du long-courrier, la montée en gamme doit être poursuivie avec un objectif de qualité totale, que ce soit dans le service ou la relation avec le client avant, pendant et après le vol.

Mais cette recherche de qualité doit toujours rester cohérente avec des niveaux de prix acceptables pour les clients, ce qui suppose en amont une base de coût compétitive par rapport aux concurrents : n’oublions jamais que le client raisonne toujours en rapport qualité/prix ! Ce mouvement de montée en gamme n’exclut pas par ailleurs d’explorer des niches encore confidentielles sur le long-courrier, comme le modèle low cost, qui finira par trouver sa place, même limitée, auprès d’une clientèle loisir très sensible au prix.

Enfin, les majors doivent continuer à miser sur les métiers connexes, et en particulier la maintenance et la restauration à bord des avions, le développement du programme de fidélité, la valorisation des données, qui constituent des activités récurrentes, rentables et en croissance.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/10/02/air-france-la-dangereuse-spirale-de-l-attrition_4781170_3232.html#6lK7VroK5kAxskmY.99

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