« 15 $ de l’heure chez Amazon : qui dit mieux ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 10 Octobre 2018, sur la hausse du salaire minimum chez Amazon.

 

15 $ de l’heure chez Amazon : qui dit mieux ?

15 dollars de l’heure : voilà le nouveau salaire minimum qu’Amazon va appliquer à compter du 1er novembre à ses 250 000 salariés américains et 100 000 employés saisonniers. Pour mémoire, 15 dollars, c’est plus du double du salaire minimum fédéral, fixé à 7,25 dollars depuis 2009. Bref, l’annonce d’Amazon représente un bond en avant pour les travailleurs peu qualifiés, abonnés depuis longtemps aux bas salaires. Comment expliquer un tel geste ? Quatre raisons, non exclusives l’une de l’autre, peuvent être avancées.
En premier lieu, dans un pays où les inégalités de revenu n’ont jamais été aussi fortes, le patron d’Amazon, Jeff Bezos, sait parfaitement qu’il risque, un jour ou l’autre, d’être montré du doigt. Rappelons qu’il a amassé, grâce au succès de son entreprise, une fortune personnelle de 112 milliards de dollars, qui en fait l’homme le plus riche du monde : difficile dans ces conditions de ne pas redistribuer un peu de la manne du succès d’Amazon à ses salariés. Début septembre, le sénateur démocrate Bernie Sanders avait d’ailleurs déposé un projet de loi visant à taxer les entreprises américaines dont les salariés touchent des aides sociales faute de percevoir un salaire suffisant. En augmentant le salaire minimum de sa propre initiative, Jeff Bezos coupe l’herbe sous le pied à toute velléité d’interventionnisme en la matière.
Pénurie de travail. En second lieu, Amazon, comme toutes les entreprises américaines, se trouve confrontée à une situation assez inédite sur le marché du travail : il n’y a quasiment plus de chômeurs aux Etats-Unis, le taux de chômage ayant atteint 3,7 %, soit son plus bas niveau depuis 1969. Dans un tel contexte, la loi de l’offre et de la demande joue à plein : la pénurie de travail se traduit logiquement par une hausse de son prix, à savoir le salaire. Les travailleurs, même peu qualifiés et peu syndiqués, sont désormais en position de force pour obtenir des augmentations et des primes, puisqu’ils peuvent toujours aller voir ailleurs.
En troisième lieu, une hausse des salaires ne se traduit pas forcément par une hausse équivalente des coûts de production, comme le montre la théorie du « salaire d’efficience » : si les salariés sont mieux payés, ils réagissent en étant plus coopératifs et plus productifs au travail. La productivité va donc augmenter, ce qui réduit le coût horaire du travail. De même, lorsque les salaires augmentent, les individus sont davantage incités à rester dans la même entreprise, ce qui diminue le taux de rotation du personnel. Or, le taux de rotation est élevé pour les salariés peu rémunérés, qui changent souvent d’emplois en raison des conditions de travail peu attractives. Réduire le turnover, c’est réduire les coûts de recrutement.
Dernière explication : en augmentant les bas salaires, Amazon met en difficulté ses principaux concurrents, notamment dans la distribution physique. Le géant Walmart, qui propose un salaire minimum de 11 dollars, va avoir du mal à retenir ses salariés, tout comme Target. Moins de personnels dans les magasins physiques, cela risque de dégrader l’expérience client, lesquels se tourneront vers… le commerce en ligne, alors que le grand rush des fêtes de fin d’année approche.
La générosité d’Amazon avec ses salariés, pour louable qu’elle soit, est un habile calcul économique.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema business school.

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